Économie / février 2018

Les engagements hors bilan de l’Etat :
un risque majeur ?

Le présent flash s’intéresse aux engagements hors bilan de la sphère publique : de quoi parle-t-on ? Quelles sont les masses financières en jeu ? Comment la France se situe-t-elle en comparaison européenne ?

1 .Engagements hors bilan : de quoi s’agit-il ?

Le compte général de l’Etat (CGE) recense cinq catégories d’engagements « hors bilan » :

 

  • Les engagements pris dans le cadre d’accords bien définis
  • Les engagements découlant de la mission de régulateur économique et social de l’Etat
  • La mise en jeu de la responsabilité de l’Etat
  • Les engagements de retraite de l’Etat
  • Les autres engagements

 

La première catégorie regroupe les dettes garanties par l’Etat, les garanties liées à des missions d’intérêt général et de passif, ainsi que des engagements envers des tiers. La seconde rassemble les subventions aux régimes spéciaux de retraite [1]  (SNCF, RATP, Marins, Mines, SEITA…) et des politiques d’intervention en matière de logement et de handicap-dépendance. La troisième se rapporte à des évènements ponctuels : actions de dépollution et obligations en cas de catastrophe nucléaire. La quatrième réunit les différents engagements en matière de retraite de la fonction publique au sens large (fonctionnaires civils et militaires et La Poste notamment). Enfin, la dernière catégorie est relative à certains dispositifs fiscaux (par exemple les déficits reportables en avant). Pour justifier le classement d’un engagement financier en « hors bilan », deux critères sont avancés : d’une part, le fait que l’engagement soit conditionnel à la survenue d’évènements incertains ; d’autre part, la capacité pour l’Etat de modifier unilatéralement sa valeur. On retrouve dans le premier critère les garanties accordées aux agents économiques et les phénomènes tels que les catastrophes naturelles. Quant au second critère, il se rapporte typiquement aux engagements de retraite, pour lesquels le législateur a le loisir de modifier les paramètres applicables. A la différence de la dette publique, qui fait l’objet de l’enregistrement d’un passif financier effectif (bons du Trésor, obligations assimilables…), un engagement hors bilan est un passif potentiel.

[1] Subventions dites « d’équilibre » versées par l’Etat à chaque régime : au total, environ 8Md€ en flux annuel en 2016.

2 .Les masses financières en jeu : quelques précautions d’usage

D’un point de vue financier, les engagements « hors bilan » cumulés de l’Etat représentaient environ 4 100Md€ en 2016. Cet ordre de grandeur doit être traité avec précaution pour au moins deux raisons :

d’une part, il agrège des catégories hétérogènes ; d’autre part, certaines de ses composantes sont très sensibles à l’hypothèse d’actualisation retenue. Sur le premier point, on constate en effet que les engagements de retraite (2 350Md€) arrivent loin devant les garanties de l’Etat (près de 1 100Md€) et les engagements dits « de régulation » (648Md€). A un niveau plus fin, le premier poste est celui des retraites de l’Etat (fonctionnaires civils et militaires), devant les garanties liées à des missions d’intérêt général (par exemple, l’Etat garantit les sommes déposées par les épargnants disposant de livrets réglementés [2] , ainsi que les intérêts afférents à ces sommes). Sur le second point, certains postes nécessitent de procéder à un calcul d’actualisation (méthode qui permet de transformer une valeur future en une valeur présente équivalente) : il en est ainsi des engagements de retraite, pour lesquels le compte général de l’Etat rappelle que « le montant des engagements ne doit être considéré que comme un ordre de grandeur ». En 2016, ces derniers ont nettement progressé pour atteindre 2 139Md€ du fait d’une baisse du taux d’actualisation, passé de 0,18 % à – 0,49 % (rendement de l’OAT€i 2032). A titre d’illustration, un taux d’actualisation de 0 % aurait abouti à un montant d’engagement de 1 900Md€ (1 530Md€ en retenant 1 %). Il est utile de rappeler que le taux d’actualisation est souvent caractérisé comme le « taux de préférence pour le présent » : plus il augmente, plus le futur est déprécié et le présent valorisé. Dans un univers de taux d’intérêt négatif, cette logique est renversée, la préférence allant au futur.

3 .Qu’en est-il ailleurs en Europe ?

En Europe, les Etats membres sont tenus de publier les informations pertinentes sur « les engagements conditionnels susceptibles d’avoir un impact élevé sur les budgets publics, y compris les garanties publiques, les prêts improductifs et les passifs découlant de l’activité d’entreprises publiques » [3] . Des quatre catégories répertoriées (garanties, partenariats public-privé, prêts improductifs, passifs des sociétés publiques), c’est la dernière qui représente, de loin, les montants les plus importants. Il s’agit des passifs des entreprises contrôlées par l’Etat mais n’appartenant pas au périmètre des administrations publiques en raison de leur activité marchande (cas, par exemple, des banques publiques).

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En retrait par rapport à la thématique très médiatisée de la dette publique, les engagements « hors bilan » intriguent et inquiètent. Et si, derrière des termes techniques, se cachait un problème encore plus massif susceptible de compromettre la soutenabilité financière d’un pays ? Pour répondre à cette question, il convient d’adopter une approche rigoureuse qui, sans remettre en cause l’importance du sujet, permet de rappeler que : 1) contrairement à une idée reçue, il n’y a pas de « dissimulation » de passif, mais un niveau élevé de transparence qu’il conviendrait d’étendre à d’autres secteurs (collectivités locales, sécurité sociale) ; 2) les chiffres présentés doivent être interprétés avec précaution compte tenu des incertitudes de calcul ; 3) l’Etat assume des engagements qu’il est le seul à pouvoir prendre du fait de son statut unique, ce qui ne le dispense évidemment pas d’optimiser la gestion de ces derniers.

[1]  Subventions dites « d’équilibre » versées par l’Etat à chaque régime : au total, environ 8Md€ en flux annuel en 2016.
[2] Livret A, livret bleu, livret de développement durable et solidaire, livret d’épargne populaire.
[3] Attention, les comparaisons sont fragiles en raison de périmètres hétérogènes (Etat, administrations locales et sociales)